26 juin 2008

Interview d'Hillel Neuer au sujet du bilan de Louise Arbour, Haut Commissaire pour les droits de l’Homme


Radio-Canada : quelle est votre appréciation sur la réforme du Conseil des droits de l'Homme?
Hillel Neuer : La réforme du Conseil est un véritable échec. C’est bien pire que ce que l'on aurait pu imaginer.

Le Conseil avait fait la promesse de défendre les victimes des droits de l’Homme dans le monde. Mais au lieu de cela, il a ignoré les Etats responsables des pires abus. Pas un mot sur les massacres au Tibet et au Zimbabwe, sur l’oppression des femmes en Iran et en Arabie Saoudite, ou encore sur les journalistes emprisonnés à Cuba. Pas un seul mot. Cela peut s’expliquer par la composition du Conseil et la culture dominante des régimes répressifs qui se protégent les uns les autres.

Le Conseil est bien pire que son prédécesseur, la Commission des droits de l’Homme. Et ceci parce que le groupe islamique et d’autres pays comme la Chine ou la Russie ont désormais une nouvelle majorité automatique au Conseil et bénéficient donc d’un pouvoir sans précèdent. Ceci a été rendu possible par une reconfiguration des sièges au Conseil : le groupe occidental ainsi que le groupe d’Amérique du Sud ont perdu 6 sièges.


TiPar contre, les groupes asiatiques et africains sont ressortis renforcés de la réforme. Ils contrôlent désormais une majorité de 26 sièges sur 47. Ce qui permet au groupe islamique, donc, d’exercer une influence très puissante. Les Etats qui appartiennent à de larges et puissants blocs politiques ou régionaux réussissent à éviter la censure. Et c’est précisément ce qui se passe avec le Zimbabwe, par exemple -- le Zimbabwe qui fait partie du groupe africain et du mouvement des non-alignés. Ou encore avec l’Arabie Saoudite qui est membre du Mouvement des non-alignés, de la ligue arabe et de l’Organisation de la Conférence islamique.
L’atmosphère toute entière du conseil s’est détériorée. Les requins sentent le sang et agissent sans retenue aucune.

Plusieurs résolutions adoptées en 2007 et 2008 posent d'inquiétants problèmes :
Tout d’abord, il y a eu cet amendement initié par les blocs islamiques et africains qui a redéfini le mandat du rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté d’expression. Le mandat impose désormais à l’expert de « traquer » les individus qui « abusent » de leur liberté d’expression. Ce fut un véritable renversement dans l’histoire des Nations Unies.

Il y a eu également un texte sponsorisé par le groupe Islamique sur la « diffamation des religions » qui a eu pour objectif de taire toutes supposées offenses contre l’Islam et de renforcer et justifier les lois nationales anti-blasphème, et ceci en totale contradiction avec le principe fondamental selon lequel les droits de l’Homme internationaux sont censés protéger les individus et non les religions.
Ensuite, il y eu cette résolution initiée par Cuba qui limite l’indépendance du Bureau de la Haute-Commissaire aux droits de l’Homme. Il s’agit là d’un acte d’intimidation par les régimes qui veulent dissimuler leurs propres abus. Un acte d’intimidation parmi tant d’autres.
Il y a eu également une résolution éliminant le mandat sur le Congo, où 4 millions sont morts à cause de la guerre.
Enfin, tout ceci n’est que la continuation du paquet institutionnel voté en juin 2007, qui avait éliminé les mandats sur Cuba et la Biélorussie et qui avait institué un « code de conduite » pour les experts indépendants – un code de conduite destiné à intimider ces experts.
Une exception positive aurait pu éventuellement être le nouveau mécanisme du Conseil : l’examen périodique universel dans lequel chaque pays doit être examiné. Malheureusement, les 32 sessions qui ont déjà eu lieu ont pour l’instant été très décevantes. La plupart des Etats se sont féliciter les uns les autres et les questions ont eu une portée très faible, voire aucune portée.
Entre 2007 et 2008 il y a eu :

-      18 résolutions sur des Etats spécifiques dont 9 résolutions condamnant Israël -- 9 résolutions qui, rappelons le, ont toutes ignorées les attaques perpétuées par le Hamas et le Hezbollah;-         4 censures de la Birmanie;-         1 censure de la Corée du Nord
-      
 3 Resolutions non condamnatoires sur le Soudan -- le Soudan qui a finalement ete salué pour sa cooperation;
-         Et finalement une résolution qui a éliminé le mandat du Conseil pour enquêter sur les abus commis en République démocratique du Congo.

R-C : Que pensez-vous des interventions de Madame Arbour sur les dossiers du Proche-Orient?H.N. :  Je pense que son bilan dans les dossiers du Proche et Moyen-Orient est mitigé. Mme Arbour pensait qu’elle avait une approche équilibrée de la situation, parce qu’elle mesurait ses actions en comparaison avec celles des 47 Etats membres du Conseil des droits de l’Homme.
Pendant les 2 années qui viennent de s’écouler, ce Conseil, dominé par le bloc arabe, n’a rien fait, à part condamner Israël. Il a condamné Israël dans des résolutions totalement biaisées, dans des sessions extraordinaires sur Israël, dans des ordres du jour spécialement consacrés a Israël, dans des commissions d’enquêtes, avec des rapporteurs spéciaux et j’en passe…
Toutes ces actions ont garanti l’immunité absolue et l’impunité des groupes terroristes comme le Hamas et le Hezbollah  et pire encore, ses actions ont encouragé ces groupes terroristes.
Biensûr le gouvernement israélien, comme toute autre démocratie, commet des violations et doit être rendue responsable pour ses erreurs. Tout comme le Canada doit être tenu responsable des violations commises par ses soldats en Somalie et en Afghanistan.
Le problème avec ce Conseil, c’est qu’il ne parle pas du tout des obligations des Palestiniens ou des autres peuples arabes.
Israël est diabolisée purement et simplement.
Donc, à chaque fois que les déclarations de Madame Arbour condamnant Israël ont également mentionné vaguement les obligations des Palestiniens, les Etats arabes se sont plaints et évidemment, à ce moment là, Madame Arbour pensait que son approche était équilibrée, en comparaison avec le Conseil.
Néanmoins, pour n’importe quel Canadien, ses interventions et ses actions sur le Proche-Orient ont clairement été perçues comme étant en faveur des Palestiniens et contre Israël – le seul pays démocratique de la région, rappelons-le ;
  • En général, elle n’a pas réussi à faire la différence entre, d’une part,  des groupes terroristes tels que le Hamas, qui envoient tous les jours des roquettes et tuent ou terrorisent délibérément des femmes et des enfants, et d’autre part, une démocratie qui cherche avant tout à se défendre face à de telles attaques. Elle n’a pas su faire la différence entre ceux qui célèbrent la mort des civils et ceux qui perçoivent ces pertes comme une tragédie. En d’autres termes, elle a assimilé le pyromane et le pompier.  Lorsqu’elle s’est rendue en Israel, elle a même dit qu’Israël était pire que les groupes terroristes palestiniens, parce que les roquettes palestiniennes n’étaient pas aussi efficaces que les armes israéliennes.
  • Elle a reconnu et approuvé la Charte arabe des droits de l’Homme. A la suite d’un scandale lié au fait que cette charte assimilait le sionisme au racisme, elle a ensuite expliqué son approbation de la charte. Je ne pense pas qu’elle ait eu conscience de ce qu’il y avait dans le texte, mais elle aurait dû renvoyer son conseiller qui lui a donné le feu vert. Malheureusement, elle n’a rendu personne responsable de cette erreur.
  • Madame Arbour a également refusé de dénoncer les discours négationnistes du Président Ahmadinejad alors que le Secrétaire général Ban Ki Moon et d’autres fonctionnaires onusiens n’ont pas hésité à le faire. Pourtant, de larges coalitions d’ONG lui ont demandé, à plusieurs reprises, de condamner le deni de l’Holocauste du Président iranien, dont des organisations chrétiennes telles que l’Eglise anglicane.
  • En général, elle a défendu le bilan du Conseil. Pourtant elle aurait dû critiquer ses actions et le tenir responsable de ses erreurs. Kofi Annan et Ban Ki Moon l’ont fait, eux : elle, non. 
R-C Pourriez-vous nous indiquer maintenant votre position sur le travail general de Madame Arbour en tant que Haute-Commissaire aux droits de l'Homme?
H.N. : Je pense qu’elle a fait un travail décent. Elle a été franche sur de nombreuses questions. Ceux qui disent qu’elle s’est uniquement focalisée sur Israël et sur les Etats-Unis ont tort. Elle s’est occupée, en effet, de nombreux problèmes dans le monde, comme le Soudan, la Birmanie ou encore le Sri Lanka. Elle a dû travailler dans des conditions difficiles, avec le Conseil qui essayait de réduire son indépendance par exemple, ou de contrôler son travail et son Bureau, avec encore des Etats qui ont dit beaucoup de mal à son sujet.
En même temps, il faut bien avouer qu’il y a eu certains problèmes. Il est vrai qu’elle a passé pas mal de temps à critiquer les Etats-Unis, avec des plaintes présentées devant le tribunal iraquien et le court suprême des Etats-Unis. Encore une fois, les Etats-Unis doivent être critiqués, mais ce n’est pas le pire Etat au monde !
A l’inverse, elle a ignoré les violations massives des droits de l’Homme commises dans des Etats très influents tels que la Russie, la Chine et dans des Etats appartenant à des alliances très puissantes, tels que l’Egypte. Sur ces points là, elle a eu tort.

R-C : Quel est votre point de vue sur la succession de Mme Arbour?
H.C. : La personne qui va remplacer Madame Arbour devra être courageuse, et avoir des principes et de la clarté morale.
L’approche dominante au sein des Nations Unies est hostile à la clarté morale. Il fut un temps, l’ONU fut l’alliance qui a vaincu Hitler. Ca signifiait quelque chose. Aujourd’hui, les gens à l’ONU pensent qu’un pays qui décide de traiter les femmes comme du bétail est similaire à un Etat qui choisit d’élire une femme comme son premier ministre ou comme gouverneur général ! C’est du relativisme moral, purement et simplement.
Le Haut-Commissaire aux droits de l’Homme doit se battre contre cela, tous les jours. Il doit résister contre la volonté de la majorité. Ce n’est pas facile. Arbour a essayé à plusieurs reprises, mais au final elle a choisit la solution de facilité : s’échapper.
Arbour a avoué qu’elle a choisi une approche plus diplomatique pour promouvoir les droits de l’Homme dans des endroits tels que la Chine ou la Russie. Elle a dit avoir privilégié une stratégie d’implication privée « qui est à même de produire des résultats positifs » à une stratégie qui lui « aurait fait se sentir bien avec elle-même, elle et beaucoup d’autres ». Elle a dit qu’en tant que fonctionnaire de l’ONU elle était contrainte par la réalité d’une organisation dominée par des centres puissants, comme la Chine, la Russie ou encore le groupe des 77 qui comprend plus de 130 pays en voix de développement. Dans ce contexte, elle a admis que « nommer et critiquer est un jeu de perdant ».

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