25 févr. 2013
En Mauritanie, les prèches contredisent l’appui officiel à la guerre menée par la France au Mali
Par Colette Braeckman
« Directement concernée par la guerre au Mali, la Mauritanie fait profil bas, mais en réalité elle risque de subir les conséquences directes de l’intervention française : c’est chez nous que les islamistes dispersés viendront se réfugier… »
Abidine Merzough, ingénier de formation, vivant en Allemagne mais effectuant de nombreux séjours dans son pays, suit de près l’évolution de la situation au Mali, même si l’essentiel de son combat personnel se joue ailleurs : lui, il a voué sa vie à dénoncer la situation d’esclavage que connaissent les Mauritaniens noirs. Alors que la situation en Mauritanie va être examinée cette année par la Commission des droits de l’homme de l’ONU, Abidine Merzough a participé à un « sommet parallèle » organisé à Genève par UN Watch, une ONG vouée à la défense des droits de l’homme, qui avait remis sous les projecteurs plusieurs crises oubliées : l’Iran, le Tibet, le Pakistan, le Soudan, le Sud Kivu et même Cuba.
Estimant que la loi de 2007, qui abroge l’esclavage et place sur le même pied, en théorie tout au moins, tous les citoyens de la République islamique de Mauritanie, n’a jamais été réellement appliquée, Abidine Merzough se bat pour sensibiliser l’opinion internationale au sort réservé à ses compatriotes noirs. Il rappelle que la population de Mauritanie est mélangée : les Maures monopolisent tous les postes importants, dans l’armée, l’administration, les affaires, mais en réalité les « Maures blancs » ne représentent qu’un quart de la population. La confusion vient du fait qu’au sein de toutes les familles maures vivent les « Haratins ». Ces derniers représentent 50% de la population, mais ils sont confondus avec les Maures car ils partagent la même culture, le même langage, la même religion, un Islam sunnite de rite melchite et souvent ils vivent sous le même toit.
La différence entre les Maures et les Haratins est aisée à résumer : les uns sont les maîtres et les autres des serviteurs dépourvus de droits. Toutes les tâches domestiques leur sont dévolues, la famille « blanche » se repose sur eux pour tout, amener l’eau, cuisiner, nettoyer…En principe certes, ils peuvent, s’ils le veulent, quitter la maison de leurs maîtres. Mais s’ils le font ils n’ont nulle part où aller et sont totalement dépourvus de moyens… Ils sont exclus de la richesse et du pouvoir. On les retrouve aussi dans l’armée, mais ils ne seront jamais officiers… »
Les Haratins ne sont pas les seuls Noirs de Mauritanie : le pays accueille d’autres groupes negro africains, Peuls, Wolofs et Soninke, riverains du Fleuve Sénégal, apparentés à leurs voisins sénégalais, qui représentent 25% de la population et sont eux aussi victimes de discriminations.
Malgré l’abolition officielle de l’esclavage, Abidine Merzough, Haratin lui-même, estime qu’au sein des familles mauritaniennes, des Noirs sont encore captifs : «l’an dernier, nous avons traversé le pays d’Est en Ouest sur 1000 kilomètres et à chaque étape de cette caravane, nous avons organisé des meetings, dit aux esclaves de refuser leur situation. Six d’entre eux sont sortis du rang, nous avons demandé aux autorités de les protéger mais rien n’a été fait… »
La population mauritanienne, qu’elle soit blanche ou négro africaine, suit de près l’évolution de la situation au Mali mais Merzough décrypte le double langage : d’un côté, les autorités, par la voix du président Mohamed Ould Abdelaziz, se déclarent solidaires de l’intervention française au Mali. Mais par ailleurs, nul n’est dupe : « parmi les islamistes traqués au Mali, il y a des Algériens mais aussi des Mauritaniens, des Sahraouis. Chacun sait que, s’ils sont défaits par l’intervention française, ces hommes vont se replier et se réorganiser chez nous… De plus, l’opposition est hostile à la participation de troupes mauritaniennes aux opérations militaires tandis que la population, elle est absolument opposée à la guerre. » Merzough y voit l’influence des prêches dans les mosquées : « chaque semaine, les imans, sans être inquiétés, assurent dans leurs sermons que les Français mènent au Mali une nouvelle croisade et que le devoir de tout vrai Musulman est de s’y opposer. Les autorités assurent qu’elles veulent rester neutres, mais la population, sous influence, assure qu’elle est solidaire de ses « frères »….
Lien original: http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/2013/02/25/en-mauritanie-les-preches-contredisent-lappui-officiel-a-la-guerre-menee-par-la-france-au-mali-mali/
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