25 févr. 2013

«Je maudis ma naissance dans ce camp»


Par Céline Zünd

Shin Dong-hyuk, né dans un camp de travail forcé, s’est échappé à 23 ans. Il participait mardi au Geneva Summit pour les droits de l’homme organisé par UN Watch et plusieurs ONG.



Il a l’air réservé et sage, derrière sa frange noire et ses lunettes carrées. Mais, quand il lève les yeux et prend la parole, c’est d’une voix ferme et assurée qu’il répond à la question du public. On lui demande s’il s’attend à des réformes au sein du régime de Pyongyang, depuis l’arrivée du nouveau leader, Kim Jong-un, à la tête du pays. «Je n’ai pas beaucoup réfléchi aux dirigeants nord-coréens, et je ne souhaite pas le faire, dit-il. A mes yeux, ce ne sont pas des dirigeants politiques, mais des personnes qui souffrent de problèmes psychologiques. Vous connaissez mieux que moi les leviers qui pourraient amener à un changement. Il existe l’ONU et d’autres organisations censées défendre les droits de l’homme. C’est à vous de trouver des moyens efficaces de provoquer le changement. Si j’avais des recettes, je ne serais pas ici, car je serais en train de les réaliser.»

Shin Dong-hyuk et son compatriote Kang Chol-hwan, venu témoigner lui aussi à Genève hier de dix ans passés dans un camp de concentration, demandent à la communauté internationale une enquête indépendante sur les exactions du régime de Pyongyang.

Shin Dong-hyuk a fondé une ONG, Inside NK, basée à Washington, pour récolter les témoignages de ceux qui ont pu, comme lui, s’échapper du pays. «Je ne sais pas si ça aide, mais c’est le moins que je puisse faire, explique-t-il. J’ai beaucoup d’histoires à raconter, mais ­elles sont invisibles, car elles se déroulent dans un lieu inaccessible. Le seul moyen de comprendre est d’utiliser son cœur, non ses yeux.»

Le goût de la viande grillée
 
Le camp 14 fait partie du réseau de goulags où les autorités nord-coréennes envoient ceux qui «agissent mal». Il y en aurait cinq, selon les organisations de défense des droits de l’homme, pour quelque 200 000 prisonniers. Dans son livre, Shin Dong-hyuk raconte que sa mère et son frère ont été tués devant lui, après qu’il a dénoncé leurs projets d’évasion pour tenter d’obtenir de plus grosses rations de nourriture. Il dit qu’il l’a fait sans éprouver de regrets. Il a toujours eu faim. C’est elle qui lui a permis de s’échapper. Un jour, un nouveau prisonnier arrive. Il lui décrit le goût de la viande grillée, à lui qui se nourrit de graines de maïs et de rats. «J’ai commencé à imaginer qu’on pouvait vivre autrement. Je suis peu à peu arrivé à l’idée que, même si je risquais d’être exécuté, il fallait que je sorte pour goûter à cette nourriture», raconte-t-il.

Comment vit-on en liberté quand on a passé autant de temps enfermé, humilié, torturé, sans rien connaître du monde extérieur, sans même savoir si la terre est ronde ou plate? Shin Dong-hyuk doit vivre avec des sentiments dont il n’a longtemps pas connu l’existence. La compassion, l’empathie, la culpabilité. Mais aussi avec les réflexes issus de son passé: «Je suis encore méfiant envers les étrangers.» Et une souffrance mentale qui ne s’arrête pas. «Je déteste me replonger dans mes souvenirs, parce que je maudis ma naissance dans ce camp.»

Lien original: http://letemps.ch/Page/Uuid/b8e71adc-7ad7-11e2-b199-ff30256d26e6

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