7 juin 2013

Kasparov : « La Russie est une dictature personnelle »

Ancien grand maître des échecs, Garry Kasparov  reçoit un prix d'une ONG à Genève pour son combat politique. Paroles d'un indigné

Genève, le 6 juin 2013 - Garry Kasparov y va fort. Traitant Vladimir Poutine de dictateur, il le compare à Bachar el- Assad. L'ex-champion du monde d'échecs reconverti dans l'opposition politique reçoit aujourd'hui à Genève le Prix Morris Abram pour les droits de l'homme, remis par UN Watch, une ONG de la place. Interview d'un homme outré.

Au-delà des discours officiels, quel est selon vous l'objectif de Poutine en Syrie?
Pour saisir les enjeux, il faut regarder le tableau plus large: les liens avec l'Iran et la donne géopolitique au Moyen-Orient. Ici comme ailleurs, les priorités de Poutine sont dictées par un seul objectif: se maintenir à la tête de la Russie. Or, pour assurer ce pouvoir, il a besoin de cash. Histoire de s'assurer la loyauté de sa bureaucratie et de distribuer des bénéfices sociaux à la population afin qu'elle reste calme. Ce cash, d'où provient-il? Du pétrole naturellement (ndlr: la Russie est le premier producteur mondial). Le président a besoin que le prix du brut se maintienne à un niveau élevé. C'est justement ce qui se produit tant qu'il y a de l'instabilité au Moyen- Orient.

Le prix de l'or noir, est-ce vraiment tout ce qui importe?
Il y a aussi une dimension «sentimentale»: trop de dictateurs ont perdu leur job. Révolution orange en Ukraine, Printemps arabe Poutine retarde la chute de Bachar el-Assad pour ne pas donner d'idées aux Russes. Appelez ça de la fraternité entre despotes. Ou de l'instinct de survie.

Vous avez écrit que Poutine porte une lourde responsabilité dans les attentats de Boston. Vous y allez un peu fort, non?
Il y a des précédents en Russie. Ce n'est pas la première fois que Poutine retire des bénéfices d'une attaque terroriste. Un attentat se produit à chaque fois qu'il traverse une crise politique. Coïncidence? Tout indique que depuis 1999, à chaque fois que le renseignement russe sait qu'un attentat va se produire, il laisse faire si c'est utile au président. Après le siège de Nord- Ost en 2002 (ndlr: dans le théâtre moscovite de la Dubrovka) et la prise d'otages en 2004 dans l'école de Beslan, on a appris que le FSB (ndlr: services secrets russes) avait des informateurs dans les groupes terroristes. Pourquoi n'avoir pas empêché les attaques?

Que reprochez-vous exactement à Moscou concernant Boston?
Il y a un énorme «trou» dans l'information fournie à Washington par le FSB. Moscou avait certes averti en 2011 de la menace représentée par Tamerlan Tsarnaev(ndlr: le terroriste américain d'origine tchétchène). Pourquoi n'avoir pas alerté la CIA en 2012 au sujet de sa visite dans le Caucase, où il aurait rencontré un recruteur de terroristes, Makhmud Mansur Nidal, et le djihadiste russo-canadien William Plotkin, tous deux tués par des militaires quelques jours avant son retour aux Etats- Unis? Je ne dis pas que Poutine était impliqué dans l'attentat de Boston, mais le FSB devait savoir qu'un tel acte terroriste était à craindre. Rien n'a été fait pour l'empêcher.

Que reste-t-il, à vos yeux, de la démocratie russe?
Il n'y a jamais eu de vraie démocratie, mais des bases étaient posées. Il n'en reste rien. La police est au service de Poutine. Tout comme la justice. Des «procès staliniens» démarrent contre les opposants politiques arrêtés l'an dernier. Les élections, c'est qu'une mauvaise blague. J'ai été observateur dans un bureau de vote de Moscou. Les résultats n'avaient rien à voir avec les chiffres publiés. La Russie est la dictature personnelle de Poutine. La façade démocratique permet juste à l'élite de faire du business en Occident. C'est tout.

Vous niez le soutien populaire dont bénéficie Poutine?
Comment savoir? La peur est de retour. Demander à un Russe de dire ouvertement s'il soutient Poutine, c'est comme demander aux gens de Damas s'ils sont des partisans de Bachar el- Assad!

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