Septembre 2005 s’est ouvert sur les grands appétits des amis des Nations Unies et la voracité de ses détracteurs. Puisque le mois touche à sa fin, il est vraisemblable que les deux restent sur leur faim.
Les champions d’un organisme doté des pleins pouvoirs voyaient dans le Sommet mondial à New York, le plus large rassemblement des dirigeants de l’histoire, une opportunité pour rehausser le prestige de l’O.N.U. et un moyen d’étendre sa juridiction. Cependant, ce rassemblement très médiatique n’a évité l’échec complet que grâce à la production de 16.739 mots qui, de surcroît, ne disaient que très peu de choses d’une réelle importance.
Les sceptiques, pendant ce temps, regardaient ailleurs: vers la publication attendue du rapport définitif de 800 pages portant sur le programme des Nations Unies «pétrole contre nourriture.» Mais eux aussi semblaient amèrement déçus, puisque le Comité d’enquête indépendant dirigé par Paul Volcker, ancien directeur de la Réserve Fédérale américaine, n’a trouvé aucune preuve de l’intervention du secrétaire général Kofi Annan en faveur de l’entreprise associée à son fils, Kojo Annan.
Les déclamations retentissantes, comme «l’ONU est corrompue» ou à l’opposé «l’ONU est à l’avant-garde du progrès international», ont dominé les discussions autour de l’institution pendant au moins toute l’année passée. Elles ont atteint leur acmé avec la publication du rapport concernant le programme «pétrole contre nourriture», exactement une semaine avant le Sommet, menaçant de faire éclater la bulle.
En effet, beaucoup ont spéculé sur la principale motivation du Secrétaire général à déclencher maintenant un grand processus de réformes. Espérait-il que le débat sur les réformes le prémunisse de l’orage se préparant avec le scandale de la corruption ? Ces insinuations se sont exprimées le jour de la publication du rapport de Volcker, lorsque le sous-secrétaire général pour les communications de Annan, Sashi Tharoor, a distribué aux fonctionnaires de Nations Unies une liste de points de discussions sur les moyens de déplacer le sujet de la corruption des Nations Unies vers celui, bien plus attrayant, de l’imminent Sommet.
Bien que Annan lui-même n’ait pas été suspecté coupable de corruption, le rapport demeure un document complètement accablant qui, suivant les mots de The Economist, «peint un tableau sinistre de la corruption à la fois interne et externe au système des Nations Unies, avec des preuves de pots-de-vin, ristournes, contrebandes et autres transactions illicites ayant eu lieu pendant plus de sept ans à travers un vaste programme de 100 billions de dollars.»
Si les auteurs du rapport Volcker ont été trop souvent précautionneux et indulgents dans leurs conclusions, ils ne l’ont pas été dans le corps du texte. En effet, les détails abondent d’obstructions de la justice déconcertantes et de flagrantes corruptions des fonctionnaires clefs aux Nations Unies.
Nous apprenons, par exemple, comment en 1997 Maurice Strong, alors fraîchement nommé coordinateur des réformes de l’O.N.U. par le secrétaire général Kofi Annan, a reçu un chèque d’une valeur d’un million de dollars grâce à son ami, Tongsun Park. Park avait quant à lui obtenu cet argent en Irak, sous la forme d’une liasse de billets, de la part de l’ancien vice-président de Saddam Hussein, Tariq Aziz.
Au début, Strong a dit aux enquêteurs qu’il ne pourrait jamais se souvenir d’avoir reçu le chèque. Evidemment. La plupart d’entre-nous pouvons nous souvenir quand nous avons trouvé cinq dollars dans la poche d’un pantalon. De même, nous n’aurions sans doute guère de difficultés à nous remémorer le temps d’un déjeuner avec un ami qui, après être revenu via la Jordanie d’une petite visite à l’adjoint de Saddam, nous a remis un chèque d’un million fraîchement tiré d’une banque jordanienne (Pour voir une copie du chèque, cliquez ici, à la page 110.)
Mais voilà que par quelque curieux hasard, Strong, lui, ne pouvait pas se souvenir de tout cela. Il ne le pouvait pas, jusqu’à ce que les investigateurs de Volcker lui aient montré une copie du chèque, avec sa signature pour l’endosser. Soudainement, la mémoire du mandarin canadien a été rafraîchie. N’épiloguons pas, il est clair que le rapport fournissait une mise en accusation dévastatrice d’un nombre important de haut-fonctionnaires de l’O.N.U.
Ce rapport comprenait également des mots forts sur les échecs du Secrétaire général et de sa vice-secrétaire générale, Louise Frechette. Selon les enquêteurs, Annan et Frechette ont montré «leur répugnance à reconnaître leur propre responsabilité dans les défauts du Programme, leur échec à s’assurer que des preuves sévères aient été apportées à l’attention du Conseil de Sécurité et leurs efforts minimums dans la prise de sanctions en réponse aux violations des hauts-fonctionnaires iraquiens.»
Au total, dit le rapport, «il y a eut un manque de surveillance concernant l’administration du programme Pétrole contre nourriture de 100 billions de dollars et, par-dessus tout, un échec partagé par eux deux pour fournir une surveillance du directeur exécutif du programme, Benon Sevan.» Le rapport conclut que «les performances de gestion cumulées du secrétaire-général et de la vice-secrétaire générale dérogent aux règles dont l’organisation des Nations Unies devrait s’efforcer d’être à la hauteur.» Il ne fait guère de doute que les informations contenues dans le rapport entament le moral des employés de l’O.N.U. à travers le monde, jusqu’à sérieusement le mettre à mal.
Heureusement pour l’O.N.U., le Sommet mondial a cependant fini par détourner le plus gros de la tempête, et l’histoire de la corruption liée à «pétrole contre nourriture» est retombée rapidement, laissant place à des titres épinglant les négociations de dernières minutes au Sommet et leurs résultats.
Le document final du Sommet couvrait des douzaines de sujets, dont l’aide au développement pour le Tiers Monde, le terrorisme et les droits de l’homme.
Concernant l’aide au développement, les Etats-Unis ont refusé de s’engager sur des contributions annuelles obligatoires s’élevant à 0.7 % du PNB, mais ont laissé une référence à cet objectif pour les engagements des autres états.
Sur le terrorisme, l’O.N.U. est arrivée à condamner le terrorisme «sous toutes ses formes», sauf qu’elle a refusé de dire ce qu’est le terrorisme. Etant donné que le terme est hautement contesté, le document du Sommet a finalement réussi à faire apparaître une condamnation de toutes les formes de x, tel que la variable reste indéfinie.
Presque tous les avant-projets précédents comprenaient une simple mais bonne définition du terrorisme. A la fin, cependant, on a abouti à un consensus sur une non-définition du terrorisme, le même que celui auquel on avait abouti lors des précédentes tentatives de l’O.N.U., ceci du fait de l’insistance des états arabes et islamiques pour faire un cas d’exception de l’assassinat des civils israéliens. Dans le code de l’O.N.U., ce non-terrorisme a été nommé «le droit légitime des peuples sous occupation étrangère à combattre pour leur indépendance et en défense de leur droit à l’autodétermination.» En pratique, il veut dire que l’assassinat des femmes et des enfants dans les magasins de pizzas, les cafés et les clubs est toujours justifié, et jamais considéré comme du terrorisme.
Ce document final était tout de même constitué d’une partie notable : la reconnaissance pour la première fois que «Chaque Etat a la responsabilité de protéger ses populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité.» Là où les états échouent dans leur responsabilité, comme au Soudan, la communauté internationale, à travers les Nations Unies, aura la responsabilité d’utiliser des moyens diplomatiques et pacifiques pour protéger les populations. Si ces moyens échouent, l’utilisation de la force sera considérée suivant les lignes directrices du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
A propos des droits de l’homme, le Sommet n’a pas réussi à adopter la plupart des propositions audacieuses de Kofi Annan, ni d’autres propositions qui auraient plus significativement institué des mécanismes empêchant certains des plus terribles abuseurs des droits de l’homme d’être membres d’un nouveau Conseil des droits de l’homme. A la fin, tout le monde est tombé d’accord pour créer un nouveau Conseil dont les détails de fonctionnement seront précisés ultérieurement.
Alors que la réforme du Conseil de Sécurité est arrivée dans un cul de sac, c’est au tour des négociations sur la composition, le mandat et le fonctionnement d’un nouveau Conseil des droits de l’homme d’être au centre de la scène. Si le projet du Secrétaire général, et tout l’engouement qu’il avait suscité, ne sont plus au menu, il semble que le moment soit venu pour les forces démocratiques aux Nations Unies de scruter avec encore plus d’acuité les tractations à venir. Autrement, il est clair que les réformes des Nations Unies conserveront leur même goût fade, masqué simplement par un changement de nom, de la «Commission des droits de l’homme» en un «Conseil des droits de l’homme.»
Texte traduit de l’original par Eve Gani
Les champions d’un organisme doté des pleins pouvoirs voyaient dans le Sommet mondial à New York, le plus large rassemblement des dirigeants de l’histoire, une opportunité pour rehausser le prestige de l’O.N.U. et un moyen d’étendre sa juridiction. Cependant, ce rassemblement très médiatique n’a évité l’échec complet que grâce à la production de 16.739 mots qui, de surcroît, ne disaient que très peu de choses d’une réelle importance.
Les sceptiques, pendant ce temps, regardaient ailleurs: vers la publication attendue du rapport définitif de 800 pages portant sur le programme des Nations Unies «pétrole contre nourriture.» Mais eux aussi semblaient amèrement déçus, puisque le Comité d’enquête indépendant dirigé par Paul Volcker, ancien directeur de la Réserve Fédérale américaine, n’a trouvé aucune preuve de l’intervention du secrétaire général Kofi Annan en faveur de l’entreprise associée à son fils, Kojo Annan.
Les déclamations retentissantes, comme «l’ONU est corrompue» ou à l’opposé «l’ONU est à l’avant-garde du progrès international», ont dominé les discussions autour de l’institution pendant au moins toute l’année passée. Elles ont atteint leur acmé avec la publication du rapport concernant le programme «pétrole contre nourriture», exactement une semaine avant le Sommet, menaçant de faire éclater la bulle.
En effet, beaucoup ont spéculé sur la principale motivation du Secrétaire général à déclencher maintenant un grand processus de réformes. Espérait-il que le débat sur les réformes le prémunisse de l’orage se préparant avec le scandale de la corruption ? Ces insinuations se sont exprimées le jour de la publication du rapport de Volcker, lorsque le sous-secrétaire général pour les communications de Annan, Sashi Tharoor, a distribué aux fonctionnaires de Nations Unies une liste de points de discussions sur les moyens de déplacer le sujet de la corruption des Nations Unies vers celui, bien plus attrayant, de l’imminent Sommet.
Bien que Annan lui-même n’ait pas été suspecté coupable de corruption, le rapport demeure un document complètement accablant qui, suivant les mots de The Economist, «peint un tableau sinistre de la corruption à la fois interne et externe au système des Nations Unies, avec des preuves de pots-de-vin, ristournes, contrebandes et autres transactions illicites ayant eu lieu pendant plus de sept ans à travers un vaste programme de 100 billions de dollars.»
Si les auteurs du rapport Volcker ont été trop souvent précautionneux et indulgents dans leurs conclusions, ils ne l’ont pas été dans le corps du texte. En effet, les détails abondent d’obstructions de la justice déconcertantes et de flagrantes corruptions des fonctionnaires clefs aux Nations Unies.
Nous apprenons, par exemple, comment en 1997 Maurice Strong, alors fraîchement nommé coordinateur des réformes de l’O.N.U. par le secrétaire général Kofi Annan, a reçu un chèque d’une valeur d’un million de dollars grâce à son ami, Tongsun Park. Park avait quant à lui obtenu cet argent en Irak, sous la forme d’une liasse de billets, de la part de l’ancien vice-président de Saddam Hussein, Tariq Aziz.
Au début, Strong a dit aux enquêteurs qu’il ne pourrait jamais se souvenir d’avoir reçu le chèque. Evidemment. La plupart d’entre-nous pouvons nous souvenir quand nous avons trouvé cinq dollars dans la poche d’un pantalon. De même, nous n’aurions sans doute guère de difficultés à nous remémorer le temps d’un déjeuner avec un ami qui, après être revenu via la Jordanie d’une petite visite à l’adjoint de Saddam, nous a remis un chèque d’un million fraîchement tiré d’une banque jordanienne (Pour voir une copie du chèque, cliquez ici, à la page 110.)
Mais voilà que par quelque curieux hasard, Strong, lui, ne pouvait pas se souvenir de tout cela. Il ne le pouvait pas, jusqu’à ce que les investigateurs de Volcker lui aient montré une copie du chèque, avec sa signature pour l’endosser. Soudainement, la mémoire du mandarin canadien a été rafraîchie. N’épiloguons pas, il est clair que le rapport fournissait une mise en accusation dévastatrice d’un nombre important de haut-fonctionnaires de l’O.N.U.
Ce rapport comprenait également des mots forts sur les échecs du Secrétaire général et de sa vice-secrétaire générale, Louise Frechette. Selon les enquêteurs, Annan et Frechette ont montré «leur répugnance à reconnaître leur propre responsabilité dans les défauts du Programme, leur échec à s’assurer que des preuves sévères aient été apportées à l’attention du Conseil de Sécurité et leurs efforts minimums dans la prise de sanctions en réponse aux violations des hauts-fonctionnaires iraquiens.»
Au total, dit le rapport, «il y a eut un manque de surveillance concernant l’administration du programme Pétrole contre nourriture de 100 billions de dollars et, par-dessus tout, un échec partagé par eux deux pour fournir une surveillance du directeur exécutif du programme, Benon Sevan.» Le rapport conclut que «les performances de gestion cumulées du secrétaire-général et de la vice-secrétaire générale dérogent aux règles dont l’organisation des Nations Unies devrait s’efforcer d’être à la hauteur.» Il ne fait guère de doute que les informations contenues dans le rapport entament le moral des employés de l’O.N.U. à travers le monde, jusqu’à sérieusement le mettre à mal.
Heureusement pour l’O.N.U., le Sommet mondial a cependant fini par détourner le plus gros de la tempête, et l’histoire de la corruption liée à «pétrole contre nourriture» est retombée rapidement, laissant place à des titres épinglant les négociations de dernières minutes au Sommet et leurs résultats.
Le document final du Sommet couvrait des douzaines de sujets, dont l’aide au développement pour le Tiers Monde, le terrorisme et les droits de l’homme.
Concernant l’aide au développement, les Etats-Unis ont refusé de s’engager sur des contributions annuelles obligatoires s’élevant à 0.7 % du PNB, mais ont laissé une référence à cet objectif pour les engagements des autres états.
Sur le terrorisme, l’O.N.U. est arrivée à condamner le terrorisme «sous toutes ses formes», sauf qu’elle a refusé de dire ce qu’est le terrorisme. Etant donné que le terme est hautement contesté, le document du Sommet a finalement réussi à faire apparaître une condamnation de toutes les formes de x, tel que la variable reste indéfinie.
Presque tous les avant-projets précédents comprenaient une simple mais bonne définition du terrorisme. A la fin, cependant, on a abouti à un consensus sur une non-définition du terrorisme, le même que celui auquel on avait abouti lors des précédentes tentatives de l’O.N.U., ceci du fait de l’insistance des états arabes et islamiques pour faire un cas d’exception de l’assassinat des civils israéliens. Dans le code de l’O.N.U., ce non-terrorisme a été nommé «le droit légitime des peuples sous occupation étrangère à combattre pour leur indépendance et en défense de leur droit à l’autodétermination.» En pratique, il veut dire que l’assassinat des femmes et des enfants dans les magasins de pizzas, les cafés et les clubs est toujours justifié, et jamais considéré comme du terrorisme.
Ce document final était tout de même constitué d’une partie notable : la reconnaissance pour la première fois que «Chaque Etat a la responsabilité de protéger ses populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité.» Là où les états échouent dans leur responsabilité, comme au Soudan, la communauté internationale, à travers les Nations Unies, aura la responsabilité d’utiliser des moyens diplomatiques et pacifiques pour protéger les populations. Si ces moyens échouent, l’utilisation de la force sera considérée suivant les lignes directrices du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
A propos des droits de l’homme, le Sommet n’a pas réussi à adopter la plupart des propositions audacieuses de Kofi Annan, ni d’autres propositions qui auraient plus significativement institué des mécanismes empêchant certains des plus terribles abuseurs des droits de l’homme d’être membres d’un nouveau Conseil des droits de l’homme. A la fin, tout le monde est tombé d’accord pour créer un nouveau Conseil dont les détails de fonctionnement seront précisés ultérieurement.
Alors que la réforme du Conseil de Sécurité est arrivée dans un cul de sac, c’est au tour des négociations sur la composition, le mandat et le fonctionnement d’un nouveau Conseil des droits de l’homme d’être au centre de la scène. Si le projet du Secrétaire général, et tout l’engouement qu’il avait suscité, ne sont plus au menu, il semble que le moment soit venu pour les forces démocratiques aux Nations Unies de scruter avec encore plus d’acuité les tractations à venir. Autrement, il est clair que les réformes des Nations Unies conserveront leur même goût fade, masqué simplement par un changement de nom, de la «Commission des droits de l’homme» en un «Conseil des droits de l’homme.»
Texte traduit de l’original par Eve Gani
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