Interview de Hillel Neuer, directeur de UN Watch, par Jan Marejko.
Créée en
1993, l’organisation UN Watch a pour mission de s’assurer que cette institution
respecte les principes de sa Charte et se consacre également à la promotion du respect
des droits de l’homme pour tous.
Il y a tant d’ONG à Genève qu’on s’y perd un
peu, parfois. Qu’est-ce qui spécifie UN Watch ?
Il n’y
avait pas, avant la création de UN Watch en 1993, une organisation veillant à
ce que l’ONU réponde des principes de sa Charte et s’assurant que l’ONU agit
lorsque des violations des droits de l’homme sont effectivement constatées.
Devant cette situation, Morris Abram, après son mandat en tant qu’ambassadeur
américain à Genève, a été l’un des premiers à souhaiter des réformes du système
des Nations Unies. Beaucoup de nos propositions de réformes ont été reconnues
cette année dans le rapport de Kofi Annan, «Dans une liberté plus
grande».
Vous avez un diplôme de juriste. J’imagine que
c’est une passion pour la justice qui vous a mené là où vous êtes.
Oui, sans
passion, on ne fait rien. Morris Abram a marché main dans la main avec Martin
Luther King pour la défense des droits civiques et le principe « un homme,
une voix ». Je suis trop jeune pour avoir connu ces luttes. Pour moi, la
découverte de l’injustice et la volonté d’y remédier sont nés avec la lutte des
dissidents soviétiques. De plus, comme moi, ils étaient juifs, de sorte que je
me suis très vite identifié avec leur combat pour la liberté et contre la
persécution. Quand j’étais plus jeune à Montréal, je restais plusieurs heures
dans le froid en face du consulat soviétique pour manifester en faveur du
respect des droits de l’homme. C’est une expérience formatrice.
Et lorsque l’URSS s’est effondrée ?
Eh bien,
c’est la question de la justice au plan mondial qui m’a intéressé. J’y ai donc
regardé de plus près. Je me suis vite rendu compte que les institutions
internationales n’avaient pas de système de « checks and balances »
ou, pour employer la formule française, qu’il n’y avait pas, dans la Commission des droits de l’homme de l’ONU, par exemple, de contre-pouvoirs. Pour moi, en
tant que juriste et, comme vous l’avez deviné, passionné de justice, il est
très important que puissent exister des mécanismes permettant à un individu ou à
un groupe d’individu d’en appeler à une instance supérieure lorsqu’ils
s’estiment lésés par un pouvoir, quel qu’il soit. Cette possibilité d’appel
n’existe pas aux Nations Unies.
Vous êtes une organisation liée à l’American
Jewish Committee. La question de l’antisémitisme aux Nations Unies est donc
l’une de vos priorités.
Oui, pour
être une institution crédible, l’ONU doit éliminer l’antisémitisme et la
démonisation d’Israël qui règnent depuis de trop nombreuses années. L’obsession
de l’Etat juif s’est encore manifestée l’année dernière à l’assemblée générale
de New York par l’attaque d’Israël dans
19 résolutions- alors que pas une seule n’a fait mention du Darfour. Ici à
Genève la moitié des résolutions de la Commission des droits de l’homme
incrimine Israël. L’ONU viole donc le
principe d’égalité de traitements des nations qui est garanti par sa
Charte. Plus généralement, la compulsion
pathologique de l’ONU à délégitimer Israël dès qu’elle le peut empêche cette
organisation de fonctionner correctement. Lors de la dernière session de la
Commission, en mars et avril 2005, tous les délégués ont pu voir l’ambassadeur
du Luxembourg s’entretenir pendant des jours avec son homologue libyen, en
insistant pour que l’Union européenne ait le privilège de sponsoriser la
cinquième résolution condamnant Israël. Un représentant de l’Union européenne
m’a ensuite expliqué que l’Europe n’avait simplement pas eu le temps de
présenter des résolutions sur d’autres enjeux “non-prioritaires”, comme
l’aurait été, par exemple, la terrible situation du Zimbabwe… Apparemment, ça été interprété comme un feu
vert par le Président Mugabe, puisque dans les semaines qui ont suivi, il a lancé une opération de destruction des
maisons de 700 000 personnes.
On entend de plus en plus souvent parler de
l’inutilité des Nations Unies, voire de ses effets pervers. Vous
associeriez-vous à ces critiques ?
Non, malgré
ses défauts, cette institution me paraît nécessaire. Est-ce que le monde serait
meilleur sans elle ? Je ne le crois pas. En revanche, la vigilance envers
son fonctionnement et un engagement pour la réforme de ses structures sont
absolument nécessaires.
Quel
est, de votre point de vue, le plus grave dysfonctionnement des Nations
Unies ?
La
domination des régimes répressifs au sein de l’ONU et le pouvoir qu’ils
exercent à travers les alliances régionales et idéologiques. Les pays qui
abusent des droits de l’homme comme le Soudan,
Cuba et la Corée du Nord unissent leurs forces avec beaucoup
d’efficacité, s’entraidant les uns les autres. Lorsque des violations des
droits de l’homme sont flagrantes, comme au Darfour, l’alliance islamique de 56
états a conduit à l’immobilisme de la communauté internationale envers le
Soudan. La pire des choses est quand les alliances régionales entraînent le
vote des démocraties contre les droits de l’homme. Même s’il y a, dans le groupe des pays
africains, certains qui seraient prêts à voter une résolution contre le Soudan,
ils ne le font pas. L’Afrique du Sud, qui sait pourtant très bien que
l’apartheid a été démantelé grâce aux Nations Unies, se joindra à ce groupe des
pays africains pour ne pas condamner le Soudan. C’est intolérable.
N’est-il
pas possible de faire quelque chose par le biais de la Commission des Droits de
l’homme?
Vous
plaisantez ! Ce qui s’y passe est à peine croyable. Le plus grave est que,
sur le modèle de ce qui s’est passé à Durban il y a quelques années, les droits
de l’homme y sont très souvent évoqués pour être détruits.
C’est inacceptable. Comme Kofi Annan l’a maintenant
reconnu, les États cherchent à se faire élire à la Commission non pas pour
défendre les droits de l’homme mais pour se soustraire aux critiques ou pour
critiquer les autres. Aujourd’hui, dans de nombreux pays, un individu peut en appeler aux
droits de l’homme pour contester la décision qu’a prise un tribunal à son encontre. Eh bien, aux Nations
Unies, ce n’est pas possible.
C’est le
règne de la majorité à la Rousseau…
Exactement, et c’est malsain. Il est
assez ironique de constater que bon nombre des voix libérales qui, avec
justesse, défendent l’existence de mécanismes
empêchant la tyrannie de la majorité dans les constitutions nationales,
vouent un culte aveugle à l’autorité « morale » de certaines
institutions internationales, lesquelles auraient pourtant tellement besoin de
tels mécanismes. A l’assemblée générale, trop souvent, c’est littéralement
une majorité de tyrannies. Les états membres de l’ONU doivent être les sujets de la Charte — et non
l’inverse. C’est à cela que nous consacrons
l’essentiel de notre énergie.
En bref:
La Suisse : C’est un pays où, indéniablement, il fait bon
vivre et je dirais même respirer. L’air y a quelque chose de plus pur
qu’ailleurs. C’est certainement l’un des plus beaux pays du monde. Quant au
plan culturel, les Suisses, particulièrement les Genevois, me paraissent très
polis, ce qui me rappelle mon Canada natal, mais aussi réservés, peut-être
trop. La position de neutralité en matière de politique étrangère n’est pas
facile, mais je respecte son importance en tant que pilier de l’identité
nationale suisse.
Droits de l’homme : J’en suis un farouche partisan et me
réjouis que partout dans le monde, se produise une formidable prise de
conscience non seulement de leur importance, mais aussi de la manière dont on
peut les utiliser. Un individu peut les invoquer contre la soi-disant toute
puissance de l’État. Voilà ce qui me réjouit le plus dans les droits de
l’homme : ils limitent la souveraineté nationale.
Europe : L’intégration européenne, suivant la vision
de Jean Monet, est le projet de paix le plus ambitieux et réussi de l’histoire
moderne. A l’ONU, tout le monde voit l’Union européenne comme une autorité
morale. Cependant, l’Union européenne doit faire beaucoup plus pour assumer sa
nouvelle responsabilité. Plus de principes, moins de realpolitik.
Généralement, quand elle agit, l’Union européenne peut faire échouer les
alliances non démocratiques. Sur le Moyen Orient, l’Europe ne peut pas être
crédible si elle soutient la feuille de route, laquelle consiste en une
approche équilibrée, tout en suivant une politique complètement différente à
l’ONU, ou elle appuie les nombreuses résolutions contre Israël qui sont
biaisées, contre-productives par rapport à l’objectif de paix et encouragent
surtout le développement des extrémistes des deux côtés.
Terrorisme : Les Nations Unies doivent faire davantage dans
la lutte contre le terrorisme, qui
représente la plus grande menace actuelle contre la paix, la sécurité
humaine et le droit à la vie. Pour se donner de l’importance, le Conseil de
sécurité a proposé une résolution condamnant la glorification du terrorisme.
L’Assemblée générale des Nations Unies ne s’est pas accordée, quant à elle, sur
une définition du terrorisme lors du sommet qu’elle a tenu à New York, car les
états arabes voulaient faire un cas d’exception de l’assassinat des civils
israéliens. Si nous n’arrivons pas à définir le terrorisme, comment
pouvons-nous le combattre?