9 mars 2010

Le témoignage poignant du fiancé de Neda



"'...On m’a battu, mais on ne m’a pas vraiment torturé physiquement. La torture fut émotionnelle, psychologique', se souvient Caspian Makan. Il est libéré grâce à la caution de 100 000 dollars payée par les familles de Caspian et de Neda. Un procès l’attend. Il n’attendra pas. En octobre, grâce à des passeurs, il fuit la République islamique pour une ville du Moyen-Orient en franchissant un col difficile après huit heures de marche. La fuite? 'Une manière de crier au monde que les personnes tuées par le régime ne l’ont pas été pour rien', explique-t-il. En décembre, Caspian Makan arrive à ce qui est pour l’heure sa destination finale: le Canada..." -  Le Temps, 9 Mars 2010.



De passage à Genève, Caspian Makan parle de celle qui est devenue l’égérie du mouvement vert, assassinée par les miliciens de la République islamique. Il raconte aussi sa fuite par les montagnes, sa nécessité d’exprimer sa douleur

Sur sa veste, un ruban noir et un drapeau rouge, blanc et vert: Caspian Makan, 38 ans, porte sur lui le malheur et la fierté de l’Iran. Le 20 juin 2009, il perdait sa fiancée, Neda Agha Soltan, tuée sous les balles d’un bassidji, un militant islamique. Le lendemain, l’Iranienne de 26 ans devenait l’icône du jonbech sabz, le mouvement vert né de l’opposition au président Mahmoud Ahmadinejad. Les images de son assassinat sont diffusées sur Internet. L’étudiante de l’Université d’Azad de Téhéran est érigée en martyre d’un régime autoritaire et symbole d’une contestation du XXIe siècle, portée par les nouvelles technologies, dont Twitter et Facebook.
«Elle voulait se battre»

Son image – dont on découvrira plus tard qu’elle est celle d’une autre Neda – fait vite le tour de la planète. «Elle a touché le cœur de millions de personnes à travers le monde»,
s’enorgueillit Caspian Makan qui est venu témoigner au Sommet de Genève pour les droits de l’homme, la tolérance et la démocratie.


Aujourd’hui, le jeune Iranien, écrivain, producteur de documentaires et photographe à Téhéran, porte encore les cernes du deuil. En pianotant nerveusement sur son iPhone, il rappelle que Neda, qu’il a connue en avril 2009 lors d’un voyage en Turquie, le seul pays que les Iraniens peuvent visiter sans visa, «était consciente des dangers. Mais elle voulait se battre pour la démocratie en Iran. Sa mort, c’est un prix très élevé à payer. J’espère qu’elle va ébranler les fondations de la République islamique. Car il est clair que la mort de Neda n’était pas un accident. C’est la manière qu’utilise le pouvoir iranien pour se maintenir. Il est prêt à tuer ses citoyens. A considérer l’histoire de l’Iran, c’est vraiment très triste.» Tous deux divorcés d’un précédent mariage, Neda et Caspian prévoyaient de se marier un jour.

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Comme tous ceux qui gravitaient autour de Neda Agha Soltan, Caspian Makan a payé lui aussi pour les débordements de la rue iranienne provoqués par la réélection d’Ahmadinejad. D’autant qu’il n’hésite pas à exprimer sa douleur sur les chaînes de télévision, dont BBC en farsi et Al-Jazira. Six jours après le décès de sa fiancée, il est arrêté par les sbires du pouvoir qui font irruption dans son appartement. On lui prend tout: son matériel photographique, ses quelque 10 000 clichés. On l’enferme dans la prison d’Evin où il passera soixante-cinq jours.

Aucun soutien à Moussavi

«On m’a battu, mais on ne m’a pas vraiment torturé physiquement. La torture fut émotionnelle, psychologique», se souvient Caspian Makan. Il est libéré grâce à la caution de 100 000 dollars payée par les familles de Caspian et de Neda. Un procès l’attend. Il n’attendra pas. En octobre, grâce à des passeurs, il fuit la République islamique pour une ville du Moyen-Orient en franchissant un col difficile après huit heures de marche. La fuite? «Une manière de crier au monde que les personnes tuées par le régime ne l’ont pas été pour rien», explique-t-il. En décembre, Caspian Makan arrive à ce qui est pour l’heure sa destination finale: le Canada.

Malgré la distance, l’ami de la défunte Neda le répète sans cesse: «J’aime mon pays. C’est ma patrie.» Caspian Makan croit au changement. Il entreprend ces jours un tour d’Europe en tant qu’activiste des droits de l’homme. Mais il n’est pas dupe. Il reste sceptique au sujet de certains leaders du mouvement vert: «Je partage l’avis de Neda. Elle a participé aux manifestations parce qu’elle pensait que cela pouvait faire bouger les choses. Mais elle ne soutenait aucun des candidats. Ni Mir Hossein Moussavi, ni Mehdi Karoubi. Car pour elle, même ces deux derniers souhaitent un maintien de la République islamique.» Puis, au hasard, cette question: «Que pensez-vous du réalisateur Mohsen Makhmalbaf?» Caspian Makan y répond par un long silence.

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