Ancien grand maître des échecs, Garry Kasparov reçoit un prix d'une ONG à Genève pour son combat politique. Paroles d'un indigné
Genève, le 6 juin 2013 - Garry Kasparov y va fort. Traitant Vladimir Poutine de dictateur, il le compare à Bachar el- Assad. L'ex-champion
du monde d'échecs reconverti dans l'opposition politique reçoit aujourd'hui à
Genève le Prix Morris Abram pour les droits de l'homme, remis par UN Watch,
une ONG de la place. Interview d'un homme outré.
Pour saisir les enjeux, il faut
regarder le tableau plus large: les liens avec l'Iran et la donne géopolitique
au Moyen-Orient. Ici comme ailleurs, les priorités de Poutine sont dictées par
un seul objectif: se maintenir à la tête de la Russie. Or, pour assurer ce
pouvoir, il a besoin de cash. Histoire de s'assurer la loyauté de sa
bureaucratie et de distribuer des bénéfices sociaux à la population afin
qu'elle reste calme. Ce cash, d'où provient-il? Du pétrole naturellement (ndlr:
la Russie est le premier producteur mondial). Le président a besoin que le prix
du brut se maintienne à un niveau élevé. C'est justement ce qui se produit tant
qu'il y a de l'instabilité au Moyen- Orient.
Le prix de l'or noir, est-ce vraiment
tout ce qui importe?
Il y a aussi une dimension
«sentimentale»: trop de dictateurs ont perdu leur job. Révolution orange en
Ukraine, Printemps arabe Poutine retarde la chute de Bachar el-Assad pour ne
pas donner d'idées aux Russes. Appelez ça de la fraternité entre despotes. Ou
de l'instinct de survie.
Vous avez écrit que Poutine porte une
lourde responsabilité dans les attentats de Boston. Vous y allez un peu fort,
non?
Il y a des précédents en Russie. Ce
n'est pas la première fois que Poutine retire des bénéfices d'une attaque
terroriste. Un attentat se produit à chaque fois qu'il traverse une crise
politique. Coïncidence? Tout indique que depuis 1999, à chaque fois que le
renseignement russe sait qu'un attentat va se produire, il laisse faire si
c'est utile au président. Après le siège de Nord- Ost en 2002 (ndlr: dans le
théâtre moscovite de la Dubrovka) et la prise d'otages en 2004 dans l'école de
Beslan, on a appris que le FSB (ndlr: services secrets russes) avait des
informateurs dans les groupes terroristes. Pourquoi n'avoir pas empêché les
attaques?
Que reprochez-vous exactement à
Moscou concernant Boston?
Il y a un énorme «trou» dans
l'information fournie à Washington par le FSB. Moscou avait certes averti en
2011 de la menace représentée par Tamerlan Tsarnaev(ndlr: le terroriste
américain d'origine tchétchène). Pourquoi n'avoir pas alerté la CIA en 2012 au
sujet de sa visite dans le Caucase, où il aurait rencontré un recruteur de
terroristes, Makhmud Mansur Nidal, et le djihadiste russo-canadien William
Plotkin, tous deux tués par des militaires quelques jours avant son retour aux
Etats- Unis? Je ne dis pas que Poutine était impliqué dans l'attentat de
Boston, mais le FSB devait savoir qu'un tel acte terroriste était à craindre. Rien
n'a été fait pour l'empêcher.
Que reste-t-il, à vos yeux, de la
démocratie russe?
Il n'y a jamais eu de vraie
démocratie, mais des bases étaient posées. Il n'en reste rien. La police est au
service de Poutine. Tout comme la justice. Des «procès staliniens» démarrent
contre les opposants politiques arrêtés l'an dernier. Les élections, c'est
qu'une mauvaise blague. J'ai été observateur dans un bureau de vote de Moscou. Les
résultats n'avaient rien à voir avec les chiffres publiés. La Russie est la
dictature personnelle de Poutine. La façade démocratique permet juste à l'élite
de faire du business en Occident. C'est tout.
Vous niez le soutien populaire dont
bénéficie Poutine?
Comment savoir? La peur est de
retour. Demander à un Russe de dire ouvertement s'il soutient Poutine, c'est
comme demander aux gens de Damas s'ils sont des partisans de Bachar el- Assad!
Source : Tribune de Genève
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