Fabio Rafael Fiallo
Cela fait un bail. Mais je me souviens quand même. Je me souviens qu’au milieu du siècle dernier, j’avais 5 ans quand mon grand-père disparut inopinément. «T’inquiète pas petit, papi est à l’hôpital, soigné pour une légère infection, mais il nous reviendra bientôt», me disait-on alors, comme pour apaiser mes craintes de ne plus le revoir.
Je me souviens aussi que plus tard, grand-père de retour, il m’expliqua qu’en fait, ce n’était pas dans un centre de santé qu’il avait séjourné, avec d’ailleurs deux de ses frères, mais dans une prison immonde. Il m’expliqua également que ce n’était pas la première fois qu’il avait été incarcéré, qu’il lui fut arrivé de passer des semaines entières, voire des mois interminables, dans une cellule d’un mètre cinquante de long, une cellule plus petite que sa taille. Il m’expliqua enfin, les yeux rougis de colère et en même temps de fierté, la raison de ces emprisonnements: il refusait de collaborer avec la dictature qui sévissait dans notre pays en ce temps-là.
Ma famille était, pour faire bref, une famille de dissidents. La dictature en question était celle de Rafael Trujillo, qui gouverna la République dominicaine de 1930 à 1961.
Elle était de droite, cette dictature-là, comme celles de Pinochet et des généraux argentins quelques années plus tard. Mais ce qui est important, ce qui a marqué mon enfance et mon adolescence, et partant mes principes et mes valeurs, c’est que c’était une dictature. Une dictature ignominieuse, comme toutes les dictatures. Comme celles des frères Castro, de Mugabe, de Kadhafi ou de Mengistu. Une dictature, en somme, comme celles défendues et même louées par un citoyen suisse qui présente aujourd’hui sa candidature à la commission consultative du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
Rien que par solidarité envers les enfants qui ont dû vivre le martyre d’avoir tel ou tel parent emprisonné, torturé, voire tué, dans les geôles des despotes soutenus par Jean Ziegler, et envers les enfants tués par un obus tiré à l’aveugle par un Hezbollah qualifié admirativement par Ziegler de «mouvement de résistance nationale», et envers les enfants utilisés comme boucliers humains par le même Hezbollah, rien que par solidarité envers tous ces enfants, donc, il faut s’insurger contre la malencontreuse décision du chef du DFAE de ne pas désavouer la candidature susmentionnée.
Tout au long de sa vie de militant politique et d’expert en je-ne-sais-quoi, Jean Ziegler n’a cessé de se rallier aux plus terribles tyrans de notre temps pour peu qu’ils pussent être classés «progressistes», «tiers-mondistes» ou «anti-impérialistes». Toutes leurs turpitudes, tous leurs crimes passaient inaperçus dans l’esprit de Ziegler, quand il ne leur trouvait pas des circonstances atténuantes, voire des mérites révolutionnaires.
Oui, c’est vrai, plus tard, trop tard, quand Mugabe avait déjà affamé l’ancien grenier de l’Afrique qu’était le Zimbabwe, ou quand Kadhafi était déjà un cadavre politique en déshérence, Ziegler a daigné prendre une distance opportune, qualifiant Mugabe de fou ou disant que si lui, Ziegler, avait su, il n’aurait pas serré la main de Kadhafi.
Ah, bon? Ziegler, professeur d’université et bête médiatique, ne savait-il donc pas que Kadhafi était un bourreau et un assassin, cependant que le monde entier était au courant?
Mais admettons un instant l’invraisemblable. Acceptons par simple hypothèse de travail que Ziegler n’était pas conscient de la nature criminelle du régime de Kadhafi. Si tel était le cas, il devrait alors être disqualifié pour incompétence intellectuelle à une fonction quelconque au sein du Conseil de l’ONU. Car comment dans ce cas pouvoir faire confiance à son jugement?
Non, Jean Ziegler n’a aucune excuse valable pour échapper à la condamnation morale et au mépris intellectuel qu’il mérite de par ses contestables sympathies et amitiés avec les plus grandes crapules «tiers-mondistes».
Voilà pourquoi s’abstenir de désavouer la candidature de Jean Ziegler à la commission consultative du Conseil des droits de l’homme serait pire qu’inapproprié. Cela salirait l’ONU. Cela salirait la Suisse.
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