8 mai 2015

Interview de Mosab Hassan Yousef : «Les Palestiniens sont élevés dans le mensonge»


  «Les Palestiniens sont élevés dans le mensonge»



Proche-Orient

Entretien à Genève avec Mosab Hassan Yousef, ancienne «taupe» du Shin Bet israélien. Troublant.
 
 
L’histoire de Mosab Hassan Yousef a fait l’objet d’un film documentaire: «The Green Prince».
L’histoire de Mosab Hassan Yousef a fait l’objet d’un film documentaire: «The Green Prince».
 
Le Prince Vert. C’était son surnom au sein du Shin Bet, le Service de renseignement intérieur d’Israël. Fils de l’un des leaders du Hamas en Cisjordanie, dont il était aussi le secrétaire particulier, Mosab Hassan Yousef fut de 1997 à 2007 une «taupe» de choc, livrant des informations qui ont fait échouer nombre d’attentats et ont permis d’arrêter notamment Ibrahim Hamid, un chef militaire du mouvement islamiste, et Abdallah Barghouti, expert en explosifs. Héros pour les uns, traître pour les autres, cet homme au regard pénétrant était l’invité d’honneur, hier soir à Genève, du dîner de gala de l’ONG UN Watch.
 
Réfugié aux Etats-Unis depuis 2010 grâce au témoignage de Gonen Ben Yitzhak, son ancien agent de liaison au Shin Bet, Mosab Hassan Yousef s’est converti au christianisme. Avec ses proches, il a coupé les ponts. «Pour ne pas les mettre mal à l’aise ou en danger.» Rencontre avec un Palestinien qui n’est pas tendre avec les siens.
 
Vous dîtes que vous avez été élevé dans un mensonge… La cause palestinienne n’est-elle donc qu’une illusion?
Ecoutez, le véritable ennemi de la société palestinienne, c’est elle-même. Comme la plupart des gens, j’ai été élevé dans un délire de persécution. On nous disait qu’Israël, les Etats-Unis, l’Occident tout entier, hait les musulmans et cherche à anéantir l’islam. J’ai grandi dans la théorie du complot. A cela s’ajoute le complexe de supériorité islamique. Toute autre religion ou idéologie est forcément dans l’erreur. Y compris ceux qui veulent la séparation de la mosquée et de l’Etat. Ou ceux qui ne croient pas en la violence. Ces œillères, il n’y a rien de pire. Même si on veut nous faire croire que les leaders du Fatah et du Hamas luttent pour la cause palestinienne, on sait bien qu’en réalité qu’ils sont surtout guidés par leur soif de pouvoir. On est dans une mentalité typiquement tribale…
 
Arriver au pouvoir, c’est aussi le but de la politique, non? Auriez-vous pu tenter de changer les choses de l’intérieur? N’y avait-il que la voie de la trahison?
Ces questions, je me les pose tous les jours. Vous savez, je ne suis plus tout à fait la personne que j’étais. J’ai parfois du mal à comprendre dans le détail mon parcours. Ce que je sais, c’est que dans mon esprit, il ne s’agissait pas de travailler pour Israël mais pour moi-même. Je voulais voir la réalité en face, sans idéologie: des jeunes kamikazes palestiniens étaient envoyés en Israël tuer des innocents. En livrant des informations, je cherchais à sauver des vies humaines, voilà tout. Je comprends bien que cela ne fait pas l’affaire de tel ou tel mouvement nationaliste. Mais ce qui comptait à mes yeux, ce n’était pas la politique. Pour moi, le problème, c’est l’état d’asservissement des musulmans. Je voudrais qu’ils soient capables de transcender leur propre culture pour penser en termes de village global. Il ne suffit pas d’agir en son âme et conscience; c’est justement ce que les terroristes croient faire!
 
Voyez-vous une solution pour les Israéliens et les Palestiniens?
Personnellement, j’ai d’abord accepté de travailler avec un agent du Shin Bet dans l’idée de le tuer à la première occasion. Puis je me suis retrouvé dans son salon, tenant son bébé dans mes bras. Ça, c’était bien réel. La coexistence est possible, j’en suis convaincu. Mais quel chemin emprunter pour y parvenir? Combien de violence et de souffrance faudra-t-il encore subir? L’Histoire de l’Europe montre que l’évolution peut être longue et douloureuse…
 
La violence n’a pas tellement réussi aux Palestiniens. Pourquoi l’activisme non-violent ne mobilise-t-il pas les foules?
Il y a, bien sûr, des Palestiniens éclairés, mais ils n’ont pas le pouvoir. Globalement, la société palestinienne est très violente. Les maris frappent leurs femmes, les parents leurs enfants, les disputes entre voisins dégénèrent, quand ce n’est pas entre tribus!
 
Donc en fait vous n’avez pas réellement d’espoir de paix…
Tout dépend ce que vous entendez par là. En ce moment, il n’y a pas de roquettes lancées sur Israël. Le Hamas combat les djihadistes salafistes pour les en empêcher. Cela veut-il seulement dire que le mouvement profite de la trêve pour se réarmer? Ou alors, devient-il enfin plus pragmatique? Vous savez, beaucoup de gens au Moyen-Orient commencent à regretter les «monstres» créés pour combattre les visées de l’Occident. Voyez ce que le Hamas inflige aux Gazaouis, Al-Qaida aux Yéménites, Daech aux Irakiens et aux Syriens… Les musulmans commencent à voir que ces mouvements ne les ont pas émancipés. Au contraire! Et ce mensonge est de moins en moins vendeur…
 
Et Israël? Pourrait-il jouer un rôle plus constructif?
Israël offre un modèle de démocratie dans une région qui en manque cruellement. Il est imparfait, bien sûr, mais garantit la liberté d’expression et de religion, dont jouissent donc aussi les Arabes israéliens, y compris les islamistes. C’est fascinant. Et troublant pour bon nombre de Palestiniens.
 
La nouvelle coalition au pouvoir s’appuie sur le parti du très nationaliste Naftali Bennett. Cela vous inquiète-t-il?
La paix ne dépend pas d’un parti ou d’un homme. Je crois en l’évolution des consciences.


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